La France abrite la plus importante population musulmane d'Europe, mais la discrimination dans le pays pousse de nombreux professionnels musulmans hautement qualifiés à chercher de meilleures opportunités de travail dans des firmes étrangères plus tolérantes envers leurs croyances religieuses, selon des experts.
Une nouvelle étude de l'université de Lille, dirigée par le professeur Olivier Esteves, révèle que les musulmans très instruits quittent massivement la France pour le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada ou encore Dubaï (Émirats arabes unis).
Après avoir interrogé 1 074 musulmans ayant quitté le pays, Olivier Esteves affirme que plus des deux tiers d'entre eux ont déclaré avoir immigré pour pratiquer leur religion plus librement, tandis que 70 % ont dit avoir quitté le pays pour éviter les incidents liés au racisme et à la discrimination.
Selon le professeur Esteves, les professionnels musulmans dont les compétences sont très prisées, en ont assez de la manière avec laquelle ils sont traités en France.
"Paradoxalement, la France paie pour l'éducation de ces personnes, mais perd ces talents hautement qualifiés à cause d'une islamophobie institutionnelle rampante", a déploré Esteves.
Natasa Jevtovic, gestionnaire de projets financiers âgée de 38 ans, a quitté la France pour s'installer au Royaume-Uni en 2020 dans l'espoir de pouvoir pratiquer sa religion plus facilement et de se voir offrir de meilleures opportunités de travail qui correspondent à ses compétences.
La décision de Natasa Jevtovic lui a été salutaire puisque, depuis qu'elle s'est installée à Londres, elle a été promue plusieurs fois et gagne désormais le double du salaire qu'elle percevait en France.
Elle a fait l'objet de propos racistes dans une grande banque française, son directeur l'a menacée de licenciement après qu'elle a accusé ses collègues de discrimination.
"Les gens proféraient des propos racistes et je leur demandais d'arrêter et, à partir de ce moment-là, plus personne ne voulait déjeuner avec moi. Personne n'a voulu me parler pendant les six mois qui ont suivi, j'étais tout simplement boudée", a déclaré Natasa Jevtovic à Anadolu.
La jeune femme fait partie des nombreux professionnels musulmans hautement qualifiés qui ne se sentent pas les bienvenus en France et qui, pour cette raison, proposent leurs compétences là où ils se sentent plus appréciés.
- Canard boiteux
Yasser Louati, analyste politique français et défenseur des droits humains, actuellement à la tête du Comité français justice et libertés pour tous (CJL), a confié à Anadolu que l'absence de liberté religieuse était devenue l'une des raisons pour lesquelles les professionnels musulmans quittaient la France.
Le président du CJL affirme que la France perd des talents hautement qualifiés en raison d'une "islamophobie institutionnelle" généralisée, et que "le seul perdant ici est la France".
"Les personnes qui quittent la France sont essentiellement formées et éduquées en France grâce à des fonds publics, ce qui signifie qu'il n'y a pas de retour sur investissement et qu'au contraire, les économies rivales profitent de ceux qui ont un "bagage riche, à la fois en termes d'éducation et de culture", a-t-il déclaré.
"On peut donc se demander à quel point nos décideurs politiques sont intelligents lorsqu'ils laissent ces personnes quitter le pays et travailler pour des économies dans un monde globalisé où la France est en train de devenir un canard boiteux", a ajouté Yasser Louati.
Selon lui, les musulmans vivant en France font l'objet de discriminations en matière d'éducation, d'embauche, d'acquisition immobilière (achat d'une maison) ou même parfois d'accès aux soins de santé.
"Les responsables politiques français préfèrent passer à côté d'opportunités qui permettent aux gens d'être leurs égaux. C'est dommage pour la France. Et honnêtement, je salue les pays et les entreprises qui donnent une chance à ces jeunes hommes et femmes", a-t-il ajouté.
Depuis 2015, le gouvernement français a adopté plusieurs lois qui, selon les musulmans, restreignent leurs libertés religieuses, notamment une loi adoptée en 2016 qui interdit le port du voile au travail.
En 2017, le président français Emmanuel Macron et son gouvernement centriste ont adopté une loi qui soumet les imams à un contrôle sévère de la part de l'exécutif.
"Le gouvernement a également fermé des mosquées, dissous des groupes dirigés par des musulmans, des associations caritatives et des organisations à but non lucratif, sans procédure légale", a souligné Louati.
- L'islamophobie est plus répandue en France
Yasser Louati a également souligné que ces politiques ont créé une culture de l'hostilité qui, à son tour, est responsable de "la montée de l'islamophobie dans le pays".
L'image négative des musulmans prédomine dans les médias français. Lors de la campagne présidentielle de 2022, les candidats d'extrême droite Marine Le Pen et Éric Zemmour, persistent à véhiculer cette image négative en évoquant une "menace de l'islam", insiste Yasser Louati.
Une étude de 2016 a révélé qu'un cinquième des incidents islamophobes en France se produisent dans l'environnement de travail.
Selon un rapport gouvernemental de 2021, les candidats à l'embauche dont le nom a une consonance arabe musulmane ont 32 % de chances en moins d'être convoqués à un entretien.
"L'islamophobie en France est plus répandue parce qu'elle est plus visible, mais cela ne signifie pas que les autres gouvernements occidentaux sont meilleurs", a-souligné le président du CJL.
"Si nous regardons la manière avec laquelle le Royaume-Uni traite ses musulmans, l'Italie, ou encore les États-Unis, il n'y a pas de grande différence. Cependant, même si leurs politiques tendent à être quelque peu radicales, il y a toujours plus d'opportunités pour les musulmans dans ces pays qu'en France", a-t-il estimé.
Et Yasser Louati de conclure : "Les musulmans sont pleinement conscients qu'ils ne peuvent pas échapper complètement aux préjugés en Occident, mais la discrimination sur le lieu de travail ou de manière générale, est plus visible en France. Les musulmans font de leur mieux (...) Les musulmans sont là pour rester, qu'on le veuille ou non, ils étaient là avant vous et ils seront là après vous".
* Traduit de l'anglais par Alex Sinhan Bogmis
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire