Les musulmans ne se sentent plus en sécurité en Inde et surtout dans l’Uttar Pradesh,
cet État de l’Union indienne situé dans la partie nord du pays. Il en
est l’État le plus peuplé du pays, avec environ 200 millions d’habitants
D’après le recensement de 2001, 80 % de la population est hindoue alors que les musulmans représentent 18 % des habitants de l’Uttar Pradesh. Le reste est composé de sikhs, de bouddhistes, de chrétiens et de jaïns.
La police de l’état de l’Uttar Pradesh applique le règne de la terreur contre les musulmans à la suite de la nouvelle loi sur la citoyenneté
Mohammad Sharif, 74 ans, et son épouse, sont assis devant leur cabane à Kanpur, Uttar Pradesh, ils sont musulmans et leur fils, Mohammad Raees, a été abattu par la police.
Il
est minuit dans une caserne de police de l’État indien de l’Uttar
Pradesh et dans une pièce glaciale sans fenêtre, environ 150 hommes et
garçons musulmans sont blottis, ensanglantés et meurtris.
Certains
de ces prisonniers frissonnants sont couverts d’entailles suintantes
sur les mains et le visage, d’autres ont des membres cassés. Les
passages à tabac de la police sont devenus fréquent ici, suivant
plusieurs témoignages.
Ceux qui demandent de l’eau ou ferment les
yeux, sont frappés a même la peau avec des tiges métalliques et des
cannes de bambou. Certains sont dépouillés de leurs vêtements. Le plus
jeune d’entre eux n’avait que 12 ans.
Comme des centaines de
résidents musulmans de la ville de Muzaffarnagar, ils ont été arrêtés le
20 décembre, avant d’être torturés pendant leur détention.
Ils
sont les victimes de ce que l’activiste et universitaire indien Yogendra
Yadav décrit comme un «règne de terreur» sans précédent et impitoyable
imposé à l’État le plus peuplé du pays au cours des deux dernières
semaines.
Le mois dernier, l’Inde a été témoin des plus grandes manifestations jamais vues depuis plus de quatre décennies.
Des gens de toutes religions, classes, castes et âges sont descendus
dans la rue s’opposant à une nouvelle loi sur la citoyenneté adoptée par
le Premier ministre, Narendra Modi, et son gouvernement nationaliste
hindou BJP, qui, selon beaucoup, discrimine les musulmans et sape l’Inde de ses fondations laïques.
Le gouvernement a traité la dissidence avec une répression croissante,
les autorités interdisant les rassemblements de plus de quatre
personnes.
Nulle part la répression n’a été aussi brutale et aussi
ouvertement communautaire que dans l’Uttar Pradesh. Selon des
informations communiquées au Guardian par des dizaines de victimes,
témoins et militants, la police de l’État est accusée d’une série de
débordements: des tirs aveugles sur la foule, le passage à tabac de
passants musulmans innocents, le pillage de maisons musulmanes.
Tous ces méfaits sous les cris de slogans nationalistes et d’insultes islamophobes.
Ils
détiendraient et tortureraient des enfants de notre communauté. Ils
forceraient des aveux signés ainsi que le dépôt de fausses accusations
contre des milliers de musulmans qui n’avaient jamais assisté à une
manifestation.
Les ordres semblent venir de très haut.
Le
ministre en chef de l’Etat du BJP, Yogi Adityanath, un nationaliste
hindou militant connu pour sa haine ouverte et sa persécution contre les
musulmans, s’est engagé à se venger des manifestants à la suite des
troubles. La police l’a pris au mot. « C’était la kristallnacht des
musulmans », a déclaré la militante Kavita Krishnan.
Ce jour-là à
Muzaffarnagar, les troubles ont commencé lors d’une manifestation
pacifique contre la loi sur la citoyenneté qui est devenue violente
lorsque la police s’est heurtée aux manifestants. Des pierres ont été
jetées et des véhicules ont été incendiés.
En réponse, la police a ouvert le feu sur la foule.
L’université
Asad Raza Hussaini a même été attaquée et vandalisée par une
cinquantaine de policiers, portant des matraques et des tiges de fer.
Ils
ont cassé les portes et ont fait irruption dans les lieux sous le
prétexte fallacieux de rechercher des personnes ayant participé à la
manifestation, mais en entrant dans la madrasa, ils ont tout saccagé.
La
police a ensuite arrêté le saint homme des lieux et ses 35 élèves, dont
15 avaient moins de 18 ans et pour la plupart des orphelins, et les a
emmenés dans une caserne de police voisine.
Sur place, l’érudit
musulman, selon des témoins, aurait été dépouillé de ses vêtements,
battu et une tige de fer aurait été enfoncée dans son anus, provoquant
des saignements rectaux.
Les étudiants, quant à eux, auraient été torturés avec des tiges de bambou et forcés de crier des slogans nationalistes hindous polythéistes.
« Jai Shri Ram »[Hail Lord Ram ] et « Har Har Mahadev » [Sauvez-nous, Seigneur Shiva].
Selon Salman Saeed, un chef du Congrès local venu rechercher les prisonniers,
Sadiq a été très gravement blessé, de nombreuses ecchymoses couvraient tout son corps. Il ne pouvait plus tenir sur ses jambes et était nu. Nous avons été choqués de voir ce saint dans cet état. Il est cloué au lit maintenant.
Douze étudiants et le cuisinier de la
madrasa restent derrière les barreaux, ils ont été accusés de
participation à des violences, bien qu’ils n’aient jamais participé à
une manifestation.
Les jeunes étudiants n’étaient pas les seuls
prisonniers musulmans mineurs dans la caserne de police de Muzaffarnagar
cette nuit-là. Mohammad Sadiq, 14 ans, qui travaillait comme assistant
maçon, s’est mis en quête de son frère de 11 ans. C’est alors qu’une
dizaine de policiers lui ont sauté dessus, lui frappant les jambes avec
des matraques.
La police m’a dit:
Si vous nous dites les noms de 100 musulmans impliqués dans les émeutes, nous cesserons de vous battre. J’ai continué à leur dire que je n’avais rien à voir avec les émeutes, que je ne savais rien mais ils ont continué à me battre. Les policiers m’ont dit de crier «Jai Sri Ram» et je leur ai dit que je ne le ferais pas alors ils ont mis une tige de fer dans les flammes de la voiture qui était en feu et me l’ont fait tenir entre mes mains pour me brûler. Ensuite, certains policiers ont essayé de me prendre et de me mettre le feu aux flammes de la voiture.
Sadiq
a été détenu par la police pendant quatre jours. Dépouillé de ses
sous-vêtements, il a déclaré avoir été torturé. Pendant deux jours, il
n’a reçu ni nourriture ni eau et aucun traitement médical pour ses
blessures qui saignaient gravement. Lorsqu’il a finalement été libéré,
son état était si mauvais que sa mère, Rehana Begum, s’est évanouie
lorsqu’elle est venue le chercher.
Son père est mort, il était le seul membre de cette famille qui travaillait, mais il a été tellement battu aux genoux qu’il ne peut plus marcher et ne peut donc plus travailler maintenant, alors que va-t-il nous arriver ?
Selon
plusieurs témoignages, lors des raids de nuit menés contre des maisons
musulmanes à Muzaffarnagar et dans tout l’État au cours de ces deux
jours, les femmes, les enfants et les personnes âgées n’ont pas été
épargnés par les violences policières.
L’une de ces victimes était
Hamid Hasan, 73 ans, qui a été violemment battu lorsque la police a
fait irruption chez lui très tard ce 20 décembre. Sa femme de 65 ans et
sa petite-fille de 22 ans ont été frappée si fort à la tête qu’elles ont
dû subir plusieurs points de suture.
Ma famille n’a pris part à
aucune manifestation, pourquoi nous ferait-elle cela. Les musulmans de
ce pays sont obligés de vivre dans la peur, même dans nos maisons, nous
ne sommes pas à l’abri de la violence maintenant.
Le petit-fils de
Hasan, Mohammad Ahmad, âgé de 14 ans, a également été traîné hors de
son lit par les policiers, battu dans la rue, puis détenu et aurait été
torturé par la police. Ahmad a été témoin de l’obligation faite par la
police à oncle Sajid de signer des aveux selon lesquels une arme à feu
et des balles auraient été trouvées chez lui lors de la descente de
police.
Il ne voulait pas les signer mais il a dû le faire parce que nous étions terrifiés.
Au
bout de 24 heures, Ahmad a été remis en liberté dans sa famille, mais
Sajid reste derrière les barreaux, son état de santé s’aggravant de jour
en jour.
Les chiffres officiels ont fait état de 17 morts dans
l’État. Tous étaient musulmans et le plus jeune avait huit ans. Les
militants dénoncent une dissimulation délibérée par la police de ces
décès, aucune des familles n’ayant reçu de rapport post mortem.
Le
20 décembre, à Muzaffarnagar, l’unique mort a été Noor Mohammad, 26
ans, abattu à plus d’un demi-kilomètre du lieu des manifestations. La
police allègue qu’il a été tué par des manifestants. Sa femme, Sanno
Begum veut que «justice soit faite pour son mari».
S’ils ne nous donnent pas le rapport d’autopsie, ce doit être la police qui l’a abattu. Je veux la justice du gouvernement. J’ai une petite fille. Je n’ai personne pour nous aider maintenant.
Non
seulement la police a forcé la famille à enterrer Noor à 60 km de
Muzaffarnagar, mais elle a accompagné le corps, empêchant les rites
funéraires, et de plus, ils ont confisqué le certificat d’inhumation.
« Il est clair qu’ils veulent détruire toutes les preuves de sa mort », a
déclaré son beau-frère Mohammad Salim.
La police de Muzaffarnagar n’a fourni aucun commentaire.
Mohammad
Sharif, 74 ans, sanglote en racontant comment son fils Mohammad Raees,
30 ans, est décédé le 20 décembre sous le feu de la police.
Il n’était pas manifestant, il a été tué parce qu’il était musulman. Je veux mourir. Pourquoi je suis vivant alors qu’il ne l’est pas? Comment pouvons-nous continuer à vivre maintenant ?
Près de
deux semaines se sont écoulées depuis cette nuit d’horreur, mais le
climat de peur ne s’est pas apaisé, beaucoup abandonnent leurs maisons.
Après
leurs interviews avec le Guardian à Kanpur, deux militants ont été
appelés au poste de police et menacés d’être accusés de sédition s’ils
parlaient à nouveau aux médias. Ils ont par la suite demandé que leur
identité reste anonyme.
Le gouvernement de l’Uttar Pradesh insiste sur le fait que ses actions étaient justifiées.
Chaque
émeutier pense avoir fait une grosse erreur en défiant le gouvernement
de Yogi ji après avoir vu les mesures strictes prises par lui contre les
émeutiers. Chaque émeutier est choqué. Chaque manifestant est
stupéfait. Tout le monde a été réduit au silence.
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